Une vie sans ordiphone

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Début 2021, je décidai de ne plus avoir d’ordiphone et de vivre avec un simple téléphone portable — un Nokia 3310 datant de 2000. Je détaille donc mon expérience dans ce billet.

Les raisons

À l’heure actuelle, vivre sans ce dispositif n’est pas une décision à prendre à la légère ; une part importante de nos vies gravite désormais autour de cet objet. Cependant, ceci n’est pas une fatalité et il est possible de s’en passer, à condition que sa résolution soit assez solide pour résister face à la pression sociale.

Dans mon cas, je n’utilise plus d’ordiphone pour des raisons éthiques, liées à son impact sur nos sociétés et sur l’environnement.

Une catastrophe sociétale

Il est désormais évident que ces objets sont assemblés dans des conditions inhumaines, que cela soit en Chine ou ailleurs. L’un des exemples les plus connus est celui de l’entreprise Foxconn. Les conditions de travail qui y règnent, dignes de ce qui s’opérait dans l’Europe de la révolution industrielle, ne sont plus tolérables au XXIe siècle, quel que soit le lieu sur Terre.

Les conditions d’extraction, et de démantèlement des matières premières — or et terres rares par exemple — sont tout aussi préoccupantes. On pourra citer, notamment, que l’or provient de zones de conflit, souvent en Afrique, et que son commerce exacerbe les tensions et contribue à les déstabiliser davantage.

Plus proche de nous géographiquement, l’utilisation des ordiphones au quotidien créent de multiples problèmes tels que : addiction, apathie collective, ou encore troubles de l’attention. De plus, un véritable enfermement numérique se crée ; tout le monde est dans sa propre bulle, son propre cocon numérique, si confortable et, en même temps, si aliénant. Tout cela participe à renforcer l’atomisation croissante de la société — tout à fait bénéfique au système néolibéral capitaliste.

Il permet également de mettre en place une surveillance généralisée sans précédent. Celle-ci était déjà à l’œuvre avec le début de numérisation de la société de la fin du XXe siècle ; elle s’accéléra avec l’apparition, dans nos poches, d’un objet intrusif, nous suivant partout et rapportant une quantité importante de données à différents organismes. Je ne citerais que quelques violations du droit fondamental au respect de la vie privée, permis par ces dispositifs :

Enfin, prolongement de la surveillance, et nouveauté dans notre société, cet objet permet à un citoyen d’en contrôler un autre afin de décider de la liberté de mouvement du second. Le passe sanitaire en est l’exemple le plus poussé à ce jour. Historiquement réservé aux forces de l’ordre, ce rôle peut donc être désormais endossé par le « commun des mortels » et ouvre la voie à une société des plus dystopiques, telle que décrite dans des œuvres comme 1984 et Black Mirror.

Une catastrophe environnementale

Lorsque l’on évoque l’empreinte écologique du numérique, en général, seul la consommation d’électricité est mentionnée. Même s’il est important de noter cette contribution, il ne faut pas perdre de vue la part la plus significative de l’empreinte totale d’un terminal informatique.

Il est communément admis que l’essentiel de l’impact environnemental se situe à l’étape de fabrication ; en moyenne, un ordiphone est remplacé tous les deux ans. Il est donc compréhensible que le problème principal est bien l’obsolescence — programmée — de ces terminaux.

L’extraction des minerais aggrave l’épuisement des ressources, les atteintes à la biodiversité et les émissions de gaz à effet de serre. De plus, de part nos sociétés mondialisées, ceux-ci sont, typiquement, extrais en Afrique — mais pas uniquement —, puis, après transformation, le téléphone est assemblé en Chine avant d’être vendu en Europe.

En fin de vie, la plupart ne sont pas, ou peu, recyclés. Leurs composants, toxiques, se retrouvent ainsi dans l’environnement et contribuent à aggraver la pollution des milieux naturels.

Cet objet est le symbole de notre société de consommation : une société du spectacle et du jetable, rendu possible par l’exploitation de l’autre — humains ou ressources naturelles.

Les avantages

Depuis que je me suis séparé de mon ordiphone, et que je vis avec un téléphone portable des plus rudimentaires, le temps que je passe devant cet écran est considérablement moindre qu’avant. Il n’y a plus de fil d’actualité à actualiser, plus de notifications présentées sous de belles couleurs chatoyantes à consulter et plus le besoin de l’utiliser compulsivement sans aucun but précis. Cela induit un meilleur sommeil et une meilleure attention générale.

Dans l’espace public, je suis totalement ouvert et conscient de ce qui se passe autour de moi. D’ailleurs, je trouve désormais étrange de voir autant de gens la tête courbée, les deux mains pianotant sur leur dispositif, tout en marchant dans la rue. Il me semble que nous évoluons dans deux univers séparés.

Se séparer d’un objet aussi mentalement est également libérateur. Je me sens plus léger au quotidien.

Enfin, du fait que mon téléphone n’ait aucun attrait particulier, je ne suis pas dans le besoin de l’utiliser inutilement. J’ai donc davantage de temps libéré, que je peux consacrer à d’autres activités qui me tiennent à cœur comme lire ou apprendre le japonais.

Les difficultés

Malgré ces aspects positifs, il demeure des contraintes au fait de ne plus avoir d’ordiphone et de vivre dans une société qui en est devenu totalement dépendante.

Pour les personnes avec lesquelles je suis obligé de communiquer via téléphone, l’écriture de message passe obligatoirement par SMS et est pénible du fait du clavier. Les forfaits actuels ayant tous des messages illimités, un vieux téléphone n’est plus adapté pour envoyer et recevoir de longs messages. Ainsi, ralentissement et bogue en tous genres surviennent dès lors qu’une certaine taille de message est franchie.

Corollaire à cela, je ne peux plus utiliser les messageries instantanées les plus populaires. Ainsi, le fait de quitter celles-ci va engendrer, obligatoirement un tri parmi ses contacts ; certains seront prêts à s’adapter et d’autres non.

Ne plus posséder d’ordiphone implique aussi de ré-apprendre à utiliser son cerveau : terminés les applications de navigation, l’accès à Internet et autres prothèses numériques. Il faut planifier lorsque l’on sort de chez soi — en jetant un œil à une carte par exemple — et mettre à contribution son esprit de réflexion lorsque les choses ne se passent pas comme prévu — ce qui arrive souvent.

Et maintenant ?

Après donc une année, je suis satisfait de ce changement et ne reviendrai pas en arrière.

De plus, ayant adopté un mode de vie plus rural, j’utilise de moins en moins mon téléphone, principalement à cause de la couverture réseau, de très mauvaise qualité là où j’habite. Cela me permet de me détacher d’autant plus de l’emprise de cet objet, que je n’apprécie guère, comme on peut le constater à la lecture de cet article. Ainsi, j’envisage d’aller jusqu’au bout de ma démarche, et de m’en séparer totalement, me reposant sur Internet et le téléphone fixe pour mes communications.

La suite au prochain épisode…