Pourquoi les véganes ont raison et tort ?

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Avec l’exploitation toujours plus importante des animaux pour la consommation humaine, les destructions environnementales et les impacts sociaux sur les pays du Sud, la question du végétarisme, et, en particulier, du véganisme devient de plus en plus pertinente. Nombre sont ceux se tournant vers ce mode de vie, en particulier chez les plus jeunes générations urbaines, et, même s’ils ne constituent qu’une minorité, leurs voix se font de plus en plus fortes. Il est donc intéressant de se pencher sur la question, car celle-ci est bien plus complexe qu’il n’y parait.

Je tiens à préciser que je suis moi-même végétarien depuis plusieurs années, et végane de façon plus ou moins intermittente.

Qu’est-ce que le véganisme ?

Définition

La définition la plus communément admise est celle énoncée par la Société Végane britannique :

Veganism is a philosophy and way of living which seeks to exclude—as far as is possible and practicable—all forms of exploitation of, and cruelty to, animals for food, clothing or any other purpose; and by extension, promotes the development and use of animal-free alternatives for the benefit of animals, humans and the environment. In dietary terms it denotes the practice of dispensing with all products derived wholly or partly from animals.

D’après celle-ci, le véganisme cherche donc à exclure, autant que faire se peut, toute forme d’exploitation des animaux, que cela soit pour l’alimentation, l’habillement ou tout autre raison. En particulier, une alimentation végane exclut tout produit, ou sous-produit, animal.

Bref historique du mouvement

Il est probable que depuis plusieurs millénaires, certains êtres humains se soient efforcés de rester à distance de toute chair animale, et de certains sous-produits animaux — pour des raisons spirituelles ou religieuses le plus souvent.

À partir des années 1830, le terme « végétarien » commença à être employé pour désigner les personnes ne consommant pas de produits issus des animaux, et qui suivaient même un régime crudivore. Cependant, dès 1847 avec la fondation de la Société Végétarienne en Grande-Bretagne, la définition se limita à l’exclusion de la chair animale, telle qu’elle est définie de nos jours.

Ce n’est qu’en 1944 que le terme anglais vegan apparut, avec la formation de la Société Végane au Royaume-Uni. Tout d’abord en s’appliquant uniquement à l’alimentation, puis, en adoptant la définition citée plus haut en 1949. La naissance du mouvement, tel qu’il existe aujourd’hui en Occident, peut donc être défini à cette date. À noter qu’en 1944 la vitamine B12 n’avait pas encore été synthétisée par les humains, menant ainsi plusieurs véganes de l’époque à des problèmes de santé dus à une déficience de celle-ci. Elle ne le fut que, pour la première fois, le .

Enfin, le mouvement animaliste moderne, cousin du véganisme, ne commença qu’en 1970 avec la définiton du terme « spécisme » par Richard Ryder, et surtout, avec la publication du livre La Libération animale de Peter Singer en 1975, édité en France chez Payot.

Les questions soulevées

Si le véganisme polarise tant l’opinion publique, c’est qu’il adopte une position radicale — dans le sens d’aller à la racine — vis-à-vis de la question animale. Ainsi, il semble souhaitable d’examiner de plus près les questions qui sont soulevées par cette éthique.

Le rapport de l’humain aux autres animaux

La question principale réside dans le rapport qu’entretiennent les humains avec ses autres colocataires de la Terre. Depuis la révolution néolithique, où l’humain se sédentarisa et domestiqua progressivement plantes et animaux, celui-ci intensifia son empreinte écologique, et sa captation des ressources pour sa survie. Ainsi, le rapport aux animaux se transforma, d’une certaine coexistence, plus ou moins équilibrée, à une exploitation et une relation de servitude.

Cette exploitation ne cessa de s’intensifier, à mesure que la population humaine augmentait, et que les outils technologiques devenaient de plus en plus puissants, pour atteindre son paroxysme aujourd’hui. D’après l’association L214,  plus de 1 000 milliards d’animaux terrestres et aquatiques sont mis à mort dans le monde pour la production de viande, lait, œufs et poissons , et ce chaque année. Enfin, les conditions de vie de ceux-ci sont tout bonnement insupportables, au point que les abattoirs sont cachés du public et sécurisés pour prévenir toute intrusion. Le livre Faut-il manger des animaux ? de Jonathan Safran Foer, paru en France aux Éditions de l’Olivier, raconte, notamment, l’enquête qu’il a menée sur l’élevage industriel.

Ainsi, loin d’être une mode, ou un caprice d’urbains, le véganisme met le doigt sur un aspect éthique, fondamental, de nos sociétés occidentales industrielles : est-il moral de traiter les autres animaux de la sorte ? Et, pour aller plus loin : n’est-ce pas le signe d’une société malade d’agir ainsi ? Signe qui devrait d’ailleurs nous faire réagir.

Le rapport de l’humain aux autres humains

Même si le véganisme traite de l’éthique animale, l’exploitation des autres animaux entraine, aussi, des relations de domination sur les autres humains.

Rien que pour l’élevage bovin, il faut produire du soja, ou du blé, seulement pour nourrir ces animaux. Tout d’abord, ces légumineuses et céréales pourraient être utilisées pour nourrir directement les humains, notamment ceux en situation de sous-alimentation. D’après un rapport de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (PDF), datant de 2014, il y aurait 800 millions de personnes dans cette situation. Ensuite, de part la demande exercée par les pays du Nord en chair animale, la production de cette alimentation pour le bétail entraine des déforestations massives, en Amazonie notamment. En plus de l’absurdité environnementale — l’Amazonie est un puits de carbone et une réserve de biodiversité — ce sont les populations autochtones, déjà stigmatisées, qui voient leur milieu de vie être détruit par la méga-machine industrielle.

Enfin, de nombreuses populations dépendent encore de la pêche pour survivre, et la pêche industrielle ne fait qu’épuiser les quelques réserves restantes des océans.

Ainsi, le rapport que nous avons avec les animaux dans les pays du Nord, ne fait qu’entretenir les relations de domination sur les pays du Sud. Encore une fois, en quoi est-il moral de privilégier notre confort — consommer des produits animaux par plaisir — à la souffrance des autres êtres humains ?

Le rapport de l’humain à l’environnement

Outre les destructions environnementales dues à l’élevage, notre rapport aux animaux est le reflet de notre rapport à notre environnement, ou de ce que l’on appelle communément « nature ».

Que cela soit pour les animaux, ou pour d’autres éléments du biotope, nous n’y voyons que de simples ressources à extraire, exploiter et jeter selon notre bon vouloir.

Ainsi, traiter les animaux, tel que nous le faisons aujourd’hui, ne fait qu’entretenir cette idée de toute puissance et de domination sur notre environnement. C’est également créer une dualité entre l’humain et tout ce qui lui est physiquement extérieur. Pourtant, la nature n’est pas séparée de nous, nous en faisons aussi partie, et elle fait partie de nous. Nier cette interdépendance revient à scier la branche de l’arbre sur laquelle nous sommes assis — ce qui est évidemment à l’œuvre actuellement.

Les dérives du véganisme

Malgré les questions fondamentales soulevées ci-dessus, le véganisme est loin d’être parfait, ou de proposer des solutions appropriées au problème.

La violence

Certains pans du véganisme, et plus largement du mouvement de libération animale, ont recours à la violence comme méthode d’action. Ils argumentent que cela serait la seule voie effective pour aider les animaux, et que, puisqu’ils subissent eux-mêmes la violence, il serait normal de l’utiliser contre les agresseurs.

Ces arguments sont gênants pour plusieurs raisons. D’abord, tout dépend de ce que l’on considère comme efficace. Peut-être que la violence peut apporter, sur un temps très court, l’illusion d’une avancée en faveur des animaux, mais les représailles se font vite sentir, et il est très probable que les conséquences soient pires. De manière générale, il est très compliqué pour l’être humain d’entrevoir, et de comprendre, tous les tenants et aboutissants de ses actions  ; c’est notamment pour cela que les actions entreprises pour freiner le réchauffement climatique depuis plusieurs décennies n’aboutissent pas.

Ensuite, il me semble tout à fait immature d’utiliser la violence, parce que le système en face l’utilise sur les animaux. La question est de savoir quel monde nous voulons faire advenir, et intégrer la violence dans cette vision, même de manière temporaire, n’est pas justifiable.

Je condamne toute forme de violence. L’utiliser ne fait qu’entretenir cet esprit de domination que chaque être humain possède au fond de lui, et ne peut que desservir la cause pour laquelle nous nous battons.

Récupération par le système capitaliste

Malgré l’approche radicale du véganisme, celui-ci est petit à petit récupéré par le système capitaliste, car il représente un nouveau marché à conquérir.

On ne compte plus les marques de l’industrie agro-alimentaire qui décident de commercialiser des produits labellisés véganes et qui envahissent les rayons des supermarchés. Certes, la chose est louable, car cela signifie moins d’exploitation et de souffrance pour les animaux. Cependant, on peut légitimement se demander si la démarche est cohérente dans son ensemble : que penser de saucisses véganes, sur-emballées dans du plastique, et dont les ingrédients proviennent, au mieux, des quatre coins de l’Europe, au pire, des quatre coins du monde ?

N’oublions pas les jeunes pousses — plus communément appelées start-up en anglais — qui se lancent dans le développement de viandes végétales, tel que Beyond Meat. Celle-ci a levé, entre 2013 et 2018, 72 millions de dollars pour financer son aventure. Est-ce que cet argent n’aurait-il pas pu être employé pour, notamment, faire pression sur les lobbys de l’élevage industriel ? Cela aurait, avec certitude, réduit l’exploitation et la souffrance des animaux.

Enfin, il y a également les projets de cultiver de la viande en laboratoire. Outre l’aspect apprenti sorcier, n’est-ce pas juste une béquille technologique pour éviter de remettre en cause nos modes de vie et notre rapport au biotope ?

Ainsi, un nouveau et juteux marché s’ouvre, et les entreprises s’y engouffrent afin de « véganiser » la société. Tout comme pour la question climatique avec les voitures électriques, l’être humain pense que remplacer le steak animal par le steak végétal résoudra le problème. N’est-ce pas entretenir nos vieux instincts que de vouloir à tout prix manger de la chair ? Vieux instincts qui n’ont plus lieu d’être dans les sociétés dites civilisées des pays du Nord. Et, malheureusement, beaucoup de véganes accueillent ces initiatives à bras ouvert, sans aucun esprit critique.

Une plus grande dépendance au système thermo-industriel

Ce qui découle du point précédent est que mettre au point des produits véganes, notamment dans le domaine non alimentaire, accroit la dépendance, déjà forte, de nos modes de production aux énergies fossiles et non renouvelables.

Que penser de chaussures faites en microfibre et autres joyeusetés issues du pétrole ? Premièrement, la durabilité de cette matière est bien moindre que celle du cuir. Deuxièmement, avec le temps, celle-ci se dégrade et rejette des microparticules dans l’environnement, que nous retrouvons dans les océans, au sommet des montagnes, dans les animaux et en nous. Et, troisièmement, il est plus difficile de gérer cette matière en fin de vie du produit.

Certes, ne pas utiliser de cuir ne tue pas d’animaux et est un bénéfice court-terme pour l’humain, quand on connait les conditions employées, souvent dans les pays du Sud, pour tanner le cuir. Cependant, n’est-ce pas déplacer le problème ailleurs ?

Si devenir végane signifie nous éloigner encore plus d’un mode de vie soutenable, je pense qu’il faut alors profondément repenser le mouvement.

Quelques réflexions

Pour conclure, il est donc nécessaire de dépasser le discours actuel du mouvement, qui est en bonne voie pour se transformer en veganwashing à l’image du greenwashing pour l’écologie.

Ainsi, du point de vue de l’alimentation, il faudrait s’orienter vers une alimentation, à la fois locale, végétale et cultivée selon les principes de l’agriculture biologique, ou assimilés. De plus, le zéro déchet devrait être privilégié, tout comme les relations sans intermédiaires avec les producteurs — les Associations pour le Maintien de l’Agriculture Paysanne (AMAP) est un exemple intéressant. Cela permettrait de soutenir et faire renaitre la paysannerie, tout en coupant l’herbe sous le pied à ces entreprises faisant du veganwashing et du greenwashing.

Du point de vue de l’habillement et ses accessoires, il est fondamental d’apprendre à entretenir ses affaires pour qu’elles puissent durer le plus longtemps possible, quitte à les réparer également. Cela passe aussi par une pression sur les entreprises pour qu’elles relocalisent leur production et améliorent la qualité. En attendant de produire avec des matières végétales, il peut être intéressant de passer par la seconde main et la réutilisation de tous les objets initialement faits avec des produits animaux — chaussures en cuir et pulls en laine en tête. L’idée fondamentale étant de réduire les besoins en premier lieu, puis de produire des alternatives éthiques. Oublier le premier pour favoriser le second ne fait que déplacer le problème.

Enfin, il est grand temps de comprendre que la biosphère n’existe pas uniquement pour nos besoins. Il faut la respecter : du plus petit insecte au plus grand mammifère, de la mauvaise herbe à l’arbre le plus majestueux, chaque chose est là pour une raison et a un rôle à jouer. Arrêtons de nous penser supérieurs et de croire comprendre comment fonctionne cette machine complexe. Redécouvrons la modestie pour nous insérer humblement dans le système Terre.