Concevoir un site Web minimaliste et éthique

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Devant les dérives et la captation du World Wide Web par une poignée d’acteurs privés, il est urgent que les développeurs de site adoptent des pratiques plus éthiques et responsables.

Cet article est destiné, avant tout, à ces initiés, même si le profane pourra y trouver des informations intéressantes pour approfondir sa connaissance du Web. Il se limite à discuter des principes de conception et ne présupposera de rien concernant les outils utilisés pour les mettre en œuvre.

État actuel du Web

À ses débuts, le Web était un outil pour grandement faciliter le partage d’information, répartie à différents endroits — comprendre sur différentes machines. Le principe de base est resté le même : des documents, et autres types de contenu, sont identifiés par leur URI, mis à disposition sous forme de fichiers HTML et transiteant sur le réseau Internet grâce au protocole HTTP. L’une des forces de ce système réside dans l’utilisation des hyperliens, qui permettent de passer d’un contenu à un autre par une simple interaction de l’utilisateur.

Ainsi, le Web était un espace d’échange, constitué de sites partageant librement de l’information sur des sujets divers et variés. Les entités à but commercial ne l’avait pas encore investi, car l’intérêt était limité.

Aujourd’hui, le Web a bien changé. D’abord, parce qu’il a vampirisé la plupart des autres applications d’Internet — une grande partie des internautes accèdent à leurs courriels uniquement via une interface webmail par exemple — à tel point que beaucoup de personnes utilisent les termes Web et Internet comme synonymes. Puis, car il a été récupéré par le monde marchand, qui a marqué un tournant dans son utilisation et son organisation.

Le marché des données personnelles

Outre le commerce en ligne, première mouture de la marchandisation du Web, les gros silos que sont les GAFAM ont fait de leur fonds de commerce la collecte, l’exploitation et la vente des données personnelles de ses utilisateurs. Ainsi, de simple citoyen libre, l’utilisateur est devenu une ressource à exploiter, tel un animal domestique que l’on exploite dans un élevage industriel pour en tirer du profit.

Surveillance de masse

Le pendant de cette marchandisation est la surveillance de masse exercée sur tous les internautes. Gouvernements et entreprises privées des nouvelles technologies travaillent de concert pour réguler, contrôler, aseptiser et, bien sûr, marchander cet espace, ce que certains nomment le capitalisme de surveillance. À mesure que de plus en plus d’activités se déroulent en ligne, cette tendance s’accroit. Ainsi, le cyberespace — et non uniquement le Web — est devenu un espace politique ; contrairement à ce que pensent beaucoup de développeurs et ingénieurs, qui le considèrent uniquement comme un outil neutre. Je recommande notamment la lecture du livre Cyberstructure de Stéphane Bortzmeyer, édité en France par C & F Éditions, pour réfléchir à ces questions.

Perte d’accessibilité

Enfin, à mesure que le Web devient de plus en plus grand public, les contenus servis sont de plus en plus exigeants en ressources, matérielles et énergétiques notamment, et de moins en moins accessibles. Il semblerait que les utilisateurs souhaitent interagir avec des sites « beaux » et pratiques, ce qui pousse les développeurs à ajouter toujours plus de fonctionnalités dynamiques telles que des animations ou des widget. Cela impacte de manière négative les personnes qui ont recours à des lecteurs d’écran, et autres technologies d’assistance à la navigation, car l’ajout de ces fonctionnalités, par du code JavaScript principalement, a tendance à diminuer l’accessibilité d’un site.

La constante augmentation du poids des pages impacte également les utilisateurs ayant un accès réseau de faible capacité, ou utilisant des terminaux âgés. Ainsi, un cercle vicieux s’instaure où les usagers, parce que les sites sont trop complexes et trop exigeant, changent de terminal, pensant celui-ci dépassé et lent ; les développeurs peuvent donc continuer de concevoir des pages de plus en plus lourdes, considérant que l’utilisateur en face a accès à un réseau de qualité et une machine performante.

Une autre voie à explorer

Face à ce constat, somme toute assez sombre, il est possible d’agir pour infléchir cette tendance. Mais, pour cela, il est nécessaire d’adopter un nouveau rapport au Web et à la technologie, dont l’essence sera distiller dans les deux sections suivantes.

Informatique minimaliste

Qu’elle pourrait être la définition d’une informatique minimaliste ? Peut-être qu’il y en existe plusieurs, cependant, je pense que l’une d’entre elle fait le consensus : concevoir des systèmes qui utilisent le minimum de ressources matérielles et logicielles. On peut d’ailleurs retrouver cette idée dans la philosophie des systèmes Unix notamment, avec le « do one thing and do it well », et bien d’autres encore. En effet, les ressources informatiques étant limitées à l’époque, les développeurs et ingénieurs se devaient d’être sobres et efficaces dans la conception de leur système. Ainsi, nous pouvons examiner ce que serait un site minimaliste à la lumière de cette définition.

Le principe fondamental est de se poser la question des besoins, et d’utiliser les technologies appropriées en conséquence. Cela demande de se limiter et d’aller à contre-courant de ce qui est fait aujourd’hui : ne plus partir de la dernière technologie, parce qu’elle est en vogue, pour aller vers le besoin, mais plutôt partir du but recherché en se posant la question de quel outil à utiliser.

Garder cela en tête, tout en développant, permet, de mon point de vue, d’éviter les principaux écueils cités concernant la perte d’accessibilité. Par exemple, pour réaliser le site vitrine d’un restaurant, est-il nécessaire d’avoir recours à un site dynamique avec une base de donnée lorsque l’on sait que ce site ne sera pas souvent mis à jour et ne contiendra que du contenu statique ? Y aura-t-il besoin d’incorporer des programmes, côté client, en JavaScript, seulement pour apporter des effets de présentation sympathiques ?

Chaque développeur devrait commencer son cycle de conception en partant de la base fondamentale, l’HTML, puis d’y ajouter les briques supplémentaires à mesure que les besoins se font sentir : des fichiers CSS pour mettre en forme au service du contenu ; du JavaScript si une interaction avec l’utilisateur est nécessaire ; une base de donnée avec des programmes côté serveur si le site doit générer du contenu dynamique et ainsi de suite.

Une nouvelle éthique

En se référant à la première partie de l’article, un site éthique devrait respecter les aspects suivants :

Ces critères peuvent aider à résoudre les problèmes du Web, décrits précédemment. Ils demandent de changer les méthodes de travail et la perception collective que nous avons de cet espace. Cependant, le jeu en vaut la chandelle : d’un espace d’aliénation, le Web pourrait se transformer en un espace de partage et de coopération, voire d’émancipation.

Conclusion

Devant les abus et le monstre qu’est devenu le Web aujourd’hui, il est impératif de changer de modèle. Les développeurs ont un rôle à jouer, de part leur position privilégiée. Ils doivent se saisir de l’opportunité et avoir le courage d’agir à contre-courant de la tendance actuelle.

Dans les méandres du Web, des sites minimalistes et éthiques se développent, invisibles, pour la plupart, aux yeux de la majorité des internautes. J’ose espérer qu’ils représentent l’avenir du Web et non pas un glorieux passé révolu.